UEF BELGIUM IN THE PRESS | L'urgence d'une action collective
Please find here the link to the article “L'urgence d'une action collective” published on the La Libre Belgium. This article was written in French by Philippe van Damme and Domenico Rossetti di Valdalbero members of UEF Belgium.
Si l'Europe veut devenir, être, rester un acteur géopolitique de poids, nous devons être plus unis. Malgré une position commune face au Brexit, ou des tentatives de réponses communes à la crise du Covic-19, y compris par un premier emprunt européen d'envergure (Next Generation EU), et à l'égard de Moscou suite à la guerre d'agression russe en Ukraine, beaucoup reste à faire.
Les récents rapports sur l'avenir de l'Europe d'Enrico Letta et de Mario Draghi ont mis l'accent sur le décrochage économique de l'Union, le faible accroissement de productivité européenne, l'insuffisante intégration du marché unique, la fragmentation des marchés des capitaux et les retards en matière d'innovation (1).
Ces points démontrent une absence de cohérence qui provient d'un vice dans la construction européenne. Les Länder allemands peuvent avoir des majorités différentes, mais une politique extérieure unifiée. Par contre, au niveau européen, nous ne parvenons pas à nous projeter comme une "puissance unique". Le traité de Lisbonne prévoit une "politique étrangère et de sécurité commune" (PESC), y compris "la définition progressive d'une politique de défense commune", mais celle-ci est soumise à des décisions du Conseil statuant à l'unanimité, et compte sur "un esprit de loyauté et de solidarité mutuelle".
Bonne intention
Kaja Kallas, la Haute Représentante de l'Union pour les Affaires Étrangères et la Politique de Sécurité depuis le 1er décembre, aide le Conseil européen à identifier les intérêts stratégiques de l'UE en contribuant par ses propositions à l'élaboration de la PESC. Elle assure la mise en œuvre des décisions adoptées par le Conseil et peut s'appuyer dans l'accomplissement de son mandat sur un Service européen pour l'action extérieure (SEAE) créé après l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en 2010, et sur le réseau des délégations de l'Union à travers le monde.
Ce dispositif diplomatique européen embryonnaire ne parvient toutefois pas à masquer que la PESC reste très largement une politique inter-gouvernementale et non une politique communautaire, davantage une déclaration de bonne intention qu'une force contraignante. Le SEAE et le réseau de délégations constituent une structure hybride entre le Conseil et la Commission. Au-delà de son rôle d'appui à la PESC et de coordination avec les services diplomatiques et consulaires des États membres, le SEAE et les délégations représentent aussi la Commission dans toutes ses actions ayant une dimension extérieure, y compris la politique commerciale et la politique de coopération au développement.
Le SEAE n'a cependant que peu d'autonomie d'action et doit avant tout coordonner les différents services de la Commission, du Conseil et des États membres par le dialogue et la persuasion. L'essentiel des moyens de coopération est géré par la Commission, et n'ayant que peu de moyens de fonctionnement propre, la cohérence de l'action extérieure de l'Union bute rapidement sur les limites du bon-vouloir des États membres. Comme le disait Josep Borrell, le précédent Haut Représentant, un brin dépité lors de son dernier Conseil en novembre dernier, "les États membres restent maîtres de [leur] politique extérieure".
Exemples concrets
Aussi faut-il aller de l'avant dans l'européanisation de la PESC. Voici trois exemples concrets.
Alors que les rapports Letta et Draghi préconisent de parachever le marché unique, il est absurde de garder des marchés de la défense aussi fragmentés, résultant dans une faible interopérabilité. Face à la Russie, l'Union européenne de la défense s'impose aujourd'hui avec urgence et évidence comme l'illustre le rapport de Sauli Niinistö (2). Mais tant ce rapport que la stratégie industrielle européenne de défense (3) partent du postulat d'une coopération volontaire dans le cadre de la PESC et de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Cela ne répond pas à l'urgence d'une action collective.
Deuxième exemple : si le concept de citoyenneté européenne existe depuis le traité de Maastricht (1992), les services consulaires restent nationaux, alors que plusieurs États membres ont un réseau limité dans les pays tiers. Les délégations de l'UE et les États membres ont déjà l'obligation d'assurer la protection de tous les citoyens européens dans les pays tiers, comme l'illustre la coordination du rapatriement des citoyens européens bloqués à l'étranger pendant la crise du Covid-19. Il faut donc développer un service visa européen qui permettrait d'agir au nom des États membres et valoriser ainsi la citoyenneté européenne tout en réalisant d'importantes économies d'échelle.
Enfin, en adhérant à l'UE, chaque État membre a souscrit à un certain nombre de valeurs et principes fondamentaux qu'il s'est engagé à défendre y compris à l'extérieur. Il est dans ce contexte intolérable qu'un État membre, par ailleurs en transgression de ces valeurs fondamentales, puisse tenir en otage l'ensemble de l'Union dans son action collective extérieure dans ce domaine. Le Conseil européen devrait pouvoir décider de ses actions dans le cadre de la PESC à la majorité qualifiée et non à l'unanimité.
La seule manière pour que l'Union parle d'une seule voix serait :
Soit de réviser le Traité et avancer vers un "fédéralisme graduel et pragmatique" qui permettrait de réaliser cette union européenne de la défense, de prendre davantage de décisions à la majorité qualifiée et de transformer le SEAE en un réel service diplomatique autonome, aux moyens propres ;
Soit d'adopter l'oxymoron de "projet de traité constitutionnel" proposé par une nouvelle Convention sur l'exemple de celle présidée par le trio Giscard-Dehaene-Amato en 2004 ;
Soit de rédiger une constitution européenne approuvée par une assemblée constituante, vœu cher à Altiero Spinelli en 1984 et à Fernand Herman en 1994, tous deux fervents partisans d'un "fédéralisme européen ambitieux" où le peuple européen via ses représentants, déciderait d'adapter l'Europe aux défis du XXIe siècle.
⇒ Titre et chapô de la rédaction. Titre original : "Pour une politique extérieure européenne forte et crédible"
⇒ (1) Enrico Letta, Much more than a market, 18 avril 2024, et Mario Draghi, The future of European competitiveness, 9 septembre 2024.
⇒ (2) Sauli Niinistö, Safer Together : Strengthening Europe's Civilian and Military Preparedness and Readiness, 30 octobre 2024. Voir https://federalists.eu/event/trump-return-and-the-need-for-a-european-federation/
⇒ (3) Communication conjointe JOIN (2024) 10 du 5 mars 2024 de la Commission et du Haut Représentant.