UEF BELGIUM IN THE PRESS | Il Faut Munir l’Europe d’une Autre Boussole
Please find here the link to the article “Il faut munir l’Europe d’une autre boussole” published on the La Libre Belgium. This article was written in French by Francisco Vigalondo, Domenico Rossetti di Valdalbero, Jean Marsia, and François Mennerat members of UEF Belgium.
Les questions de productivité et de compétitivité européennes (Rapport Draghi), de réindustrialisation de l’Europe (cf. Plan industriel dans le futur mandat d’Ursula von der Leyen) et d’achèvement du Marché intérieur (Rapport Letta) ont récemment animé les débats sur l’avenir de l’Union européenne. Mais pour qu’une union puisse résister aux aléas de l’histoire, il lui faut un sens qui aille audelà des questions matérielles, économiques et réglementaires. Un saut dans le passé peut nous éclairer.
En 1569, l’Union de Pologne-Lituanie formait l’un des royaumes les plus puissants et les plus prospères d’Europe. Cette union, la Rzeczpospolita constituait une sorte de république nobiliaire guidée par un roi élu par une assemblée de nobles qui tous, grands ou petits, avaient le même poids pour bloquer individuellement les décisions. La règle du liberum veto avait été conçue pour préserver un certain libéralisme aristocratique face au pouvoir central de la monarchie et pour promouvoir un consensus politique.
Malgré la vertu de ce système, sa mise en œuvre a laissé à désirer lorsque d’autres monarchies-États, fortement centralisées, ont émergé autour de l’Union et ont rivalisé avec elle.
La gouvernance qui avait permis de gérer, en interne, la résolution pacifique des conflits, s’est montrée incapable d’affronter efficacement les défis externes. L’Union manquait d’unité nécessaire pour guider son action politique en tant que corps social unique. Faute d’un sentiment de responsabilité partagée, les nobles polonais et lituaniens prenaient leurs décisions en fonction de l’intérêt de leurs familles et de leurs domaines personnels. Le marchandage des votes entre les nobles et l’ingérence des royaumes étrangers qui en profitaient pour influencer la gouvernance de l’Union, a progressivement fait gripper le système. L’Union des deux nations s’est divisée jusqu’à la perte complète de son autonomie étatique.
Mutatis mutandis, l’Union européenne (UE) d’aujourd’hui repose sur un système de régulation politique comparable au liberum veto de la Rzeczpospolita, en visant à répondre prioritairement aux besoins individuels des États-nations souverains.
Seulement une apparence de sens
La recherche permanente de consensus au sein du Conseil européen tient lieu d’unité de sens des mesures adoptées. Ce système a fonctionné de manière satisfaisante tant que la globalisation a été le phénomène prédominant des relations internationales et aussi long temps que les États membres poursuivaient un intérêt mutuel d’intégration économique. La stabilité obtenue grâce au pouvoir normatif (cf. l’extension du nombre de règles communes) a donné une apparence de sens aux politiques de l’UE. La globalisation est devenue la boussole de l’UE, union de sens et sens d’union.
Malheureusement, cette apparence de sens se volatilise inévitablement dès lors qu’il s’agit de prendre des décisions qui touchent le cœur des politiques étatiques, que la Russie agresse son voisin et que la concurrence s’intensifie avec des acteurs comme la Chine et les États-Unis. Une fois constatées les limites indéniables de la globalisation, ce que le paradoxe de Rodrik a énoncé en ces termes : “La démocratie, la souveraineté nationale et une intégration économique poussée sont mutuellement incompatibles : il est possible de combiner deux des trois possibilités, mais il n’est jamais possible d’avoir les trois simultanément et entièrement”, la nécessité de doter l’Europe d’une autonomie stratégique s’est révélée essentielle.
Les conclusions des rapports de Mario Draghi et d’Enrico Letta ne laissent pas l’ombre d’un doute à ce sujet. Or, la manière d’y parvenir sans avancée significative de l’intégration européenne est loin d’être claire. Car le paradoxe de Rodrik se traduit en géopolitique avec des paramètres spécifiques. Ici, le trilemme se trouve dans l’impossibilité d’atteindre à la fois l’autonomie stratégique, le libre-échange et la sécurité.
Ce paradoxe géopolitique explique pourquoi dans le cadre de la globalisation, où l’UE s’est concentrée sur le libre-échange et la sécurité (prospérité et paix), son autonomie stratégique s’est rétrécie en faveur des interdépendances économiques et normatives.
Le chemin de l’intégration différenciée, à laquelle l’UE s’est résolue depuis les années 1990, a favorisé la prédominance d’une logique intergouvernementale où le marché unique est régi par la loi (directives ou règlements) alors que les politiques relevant du pouvoir d’un État fédéral demeurent régies par une fragile coordination volontaire.
En cherchant à gagner d’abord dans l’autonomie et le libreéchange, l’UE a inévitablement dû affronter une perte dans le domaine de la sécurité, ce qui va au détriment de la raison d’être fondatrice de l’Union. Or, si on voulait plutôt relier autonomie et sé curité, le libre-échange et les rapports techno-normatifs sur lesquels il repose ne seraient plus capables de continuer à donner le sens de l’unité politique européenne.
Pas une cause mais une conséquence
La nature de ce paradoxe conduit à comprendre que la radicalisation croissante des choix politiques à l’intérieur des États membres comme au niveau européen n’est pas une cause mais une conséquence des dysfonctionnements du système politique européen.
Bien avant la guerre d’Ukraine, des personnalités politiques européennes comme Pascal Lamy, avaient déjà averti qu’une “volonté de puissance oblige l’Europe à se constituer en un espace politique, un demos européen”, en soulignant que “ce n’est pas le passage à une règle de majorité qui va faire qu’on va décider à la majorité d’une intervention militaire”.
Certes, la géopolitique est liée à la volonté de puissance des États, mais un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. On ne peut pas attendre de l’UE qu’elle exerce des compétences étatiques dans les rapports de pouvoir internationaux sans assumer la responsabilité démocratique qui résulte d’une “relation constante entre les dirigeants et le peuple” comme l’évoquait Winston Churchill.
La notion éthérée d’“avancée dans l’intégration communautaire” doit laisser place à celle d’autonomie stratégique commune, désormais vraie nécessité, dont l’expression politique sera l’instauration d’une union fédérale européenne. Il faut munir l’Europe d’une autre boussole que celle de la globalisation, celle d’une “volonté de sens” en tant que corps social européen solidaire, qui guidera les choix à réaliser au-delà du seul libreéchange. Autrement, face à la volonté de puissance de la Russie, des États-Unis et de la Chine, l’Europe unie risque de connaître le destin de l’Union de Pologne-Lituanie.